samedi 29 juin 2013

Violence en Égypte: pas d'unité dans la révolution

Je suis revenu avant-hier d'Égypte. En me dirigeant vers l'aéroport, j'ai pu observer les gens dans les cafés, par centaines, les yeux rivés sur la télévision. Morsi prononçait un discours-fleuve. Les rues étaient désertes d'automobiles, mais de petites assemblées se créaient partout. L'air goûtait le sang, malgré ce qu'on en disait.

La tension était déjà palpable depuis un moment. J'ai vu des gens se battre pour de l'essence, j'ai vu un homme moustachu sortir un pistolet et le pointer vers des adolescents en moto. Un ami, H., répétait, pour nous rassurer: « C'est le Caire, c'est toujours comme ça. » Je ne pense pas qu'il y croyait. Il venait de manquer de se faire voler son cellulaire par de petites brutes. Juste après, des collègues ont demandé que je les accompagne. Pour faire des commissions. Le commerce était à peine à cinquante mètres de chez nous.

Il n'y a pas que les Frères musulmans et leurs réformes qui mettent les gens en colère. La situation est profondément et fondamentalement instable. Les pénuries (d'essence, entre autres) se multiplient et les pannes d'électricité sont redevenues quotidiennes dans de nombreuses villes. Et on nous dit que ce n'est pas prêt de s'améliorer. Les chauffeurs de taxi eux-même refusent souvent de prendre des client-e-s si le trajet ne leur convient pas.

Les médias égyptiens frappent dans tous les sens depuis des mois. Il est difficile de distinguer le vrai du faux. Il semble régner une grande confusion. Impossible de déterminer les causes, les conséquences. Chacun-e a son explication qui lui convient, teintée de théories de conspiration ou pas.


Comme d'autres, j'ai laissé des ami-e-s là-bas, et j'en ai d'autres qui arrivaient au moment où je partais. Je me souviens d'avoir dit à plusieurs d'entre eux que je ne pouvais pas leur conseiller ou leur déconseiller de se rendre à la manifestation du 30, mais que si j'en avais eu l'occasion, j'y serais certainement allé, moi. Maintenant, je ne donnerais plus le même conseil. Je suis terrorisé à l'idée de m'imaginer qu'illes iront peut-être, qu'illes soient accompagné-e-s de dizaines de camarades ou pas.

Je me trouve con d'avoir voulu que ça pète. Mais la contestation de la nomination d'Adel el-Khayat, dont j'ai parlé il y a quelques temps, avait été d'une grande efficacité, sans tomber dans la violence la plus terrible. Ce dernier n'a simplement pas pu se rendre physiquement à son bureau, paralysé par des manifestant-e-s, dont plusieurs étaient armé-e-s de bâtons. La politesse des jeunes révolutionnaires contrastait énormément, d'ailleurs, avec celle des employé-e-s du secteur touristique. J'en ai eu honte pour nous, quand à Montréal, masqué-e-s, on envoie parfois chier de simples passant-e-s pour n'importe quelle broutille. Les révolutionnaires - et ceux-là, c'en était des vrai-e-s - ont levé des barricades pour nous laisser passer. J'en aurais personnellement jamais fait autant.

Mais un tel état d'esprit ne peut jamais durer. Et maintenant, c'est pire que j'aurais pu me l'imaginer. Je n'ai pas été le seul à être naïf: plusieurs Égyptien-ne-s de ma connaissance me disaient que Morsi démissionnerait avant même la manifestation du 30. Maintenant, ce sont plutôt des rumeurs de coup d'État militaire qui se répandent. C'est peut-être, encore, une théorie trop optimiste (aussi étrange que ça puisse paraître). Rien ne nous force à croire que cette deuxième phase du Printemps égyptien sera comme la première.

***

Les manifestant-e-s se tirent dessus avec des guns. Les émeutiers se promènent avec des boucliers artisanaux en métal, et se mettent en rang, aussi sinistres que des flics. Dans les affrontements, on confronte courageusement les armes à feu à coups de pierres et de cris. Ce n'est pas une révolte pacifiste. Ça n'a rien à voir avec le campement de Tahrir. Les gens ont appris à la dure, illes ont appris à se haïr. Et illes n'ont vraiment rien à perdre.

Mais ce qui me marque le plus, c'est la division. Il n'y a plus de révolte populaire, il n'y a plus de consensus. Une terrible masse, terrible par son nombre et par sa force, est assoiffée de pureté religieuse, et souhaite sincèrement l'établissement d'un État islamique. Ces gens sont prêt-e-s à saigner pour les Frères musulmans et leur dangereux projet. D'autres détestent les Frères musulmans - trop modérés à leur goût - mais ne comptez pas sur eux pour choisir l'autre camp. Et il faut ajouter à cela les conflits confessionnels meurtriers qui déchirent les croyant-e-s entre eux. Face à eux, la gauche, les libéraux, les modéré-e-s, tout aussi divisé-e-s que les partisan-e-s du régime, uni-e-s stratégiquement dans ce deuxième combat.

Pendant que les gens meurent dans les rues (incluant des expats occidentaux/ales), je me demande, anxieux, ce qui va suivre. Et si Morsi décide de rester? Qu'arrivera-t-il aux contestataires? Quel genre de répression les attend, quand le calme sera revenu? Illes ont glorieusement brûlé la moitié des bureaux du parti, à travers le pays: ça fait pas plaisir au gouvernement. Et si Morsi part? Les millions d'ultraconservateurs/trices ne disparaîtront pas d'un coup sec, par magie, simplement parce que leur leader chéri s'est fait chavirer. La haine n'en sera que plus grinçante, et la division plus marquée.

Dans tous les cas, on ne peut qu'envisager un désastre.

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