mercredi 8 mai 2013

Imposer l'histoire.

Le gouvernement du PQ s'est lancé à la fois dans une réforme néolibérale des cégeps (par exemple en faisant disparaître les programmes d'arts et lettres, renommés « culture et communication » à la grandeur du Québec, afin «d'arrimer l'éducation au marché», j'imagine) et national-conservatrice, avec ce dangereux projet d'ajouter un cours d'histoire obligatoire à l'intérieur du tronc commun. J'en profite pour faire la synthèse de mon avis sur la question de l'histoire, telle qu'on projette de l'enseigner dans les établissements scolaires.

L'histoire, oui, mais laquelle?

On sait depuis quelques mois que le gouvernement subit l'influence d'un mouvement d'historien-ne-s et de zélotes conservateurs/trices, la Coalition pour l'histoire. Or, cette coalition, dont la controversée Fondation Lionel-Groulx fait partie, a on le sait un projet politique bien précis.

Ce ne serait pas étonnant que l'importance qu'on donne à ces charlatan-e-s de l'histoire relève du même phénomène que l'idée d'imposer des cours d'histoire au cégep. Il s'agit de contrer le rapprochement alarmant de l'histoire telle qu'elle est enseignée à l'école de l'histoire telle qu'elle est... pratiquée par les historien-ne-s en général! C'est-à-dire diversifiée, et prenant en considération non seulement la politique, mais aussi la société, l'économie et la culture.

L'histoire nationale, mise de l'avant par le gouvernement, a une approche bien plus traditionnelle que ce à quoi la fameuse réforme nous a habitué-e-s. C'est une histoire qui ne sortirait du Québec que pour valoriser celui-ci et insister sur une certaine singularité du fait canadien-français. L'histoire nationale telle que la perçoit le gouvernement est une histoire profondément nationaliste, et donc biaisée avant toute chose. Biaisée dans son propos tout d'abord, mais aussi biaisée intrinsèquement, dans sa méthodologie même. Simplement parce que tout phénomène historique n'est pas strictement limité à des frontières étatiques et ethniques.

Cette histoire nationale risque fort d'être ni plus ni moins que le moteur d'une identité au caractère chauvain. L'histoire telle qu'enseignée à l'école, depuis toujours, a d'ailleurs non pas un objectif de croissance de la curiosité philosophique et scientifique. Elle a des visées politiques. Comme le dit l'APHCQ, (l’Association des professeures et des professeurs d’histoire des collèges du Québec) il s'agit de « mieux les préparer [les jeunes] à jouer un rôle actif et positif à titre de citoyens du Québec. » Ce discours peut paraître anodin, mais j'y vois une profonde dérive. Peut-on former des citoyen-ne-s sans avoir en tête l'image arrêtée d'un-e citoyen-ne modèle et conforme à certaines exigences politiques? On veut que les jeunes citoyen-ne-s connaissent nos institutions, mais on peut lire entre les lignes que l'objectif est en fait de les amener à y souscrire.

De plus, et de nombreux/se historien-ne-s le diront, l'histoire nationale telle qu'on la conçoit est archaïque. Depuis déjà plusieurs décennies (près d'un siècle dans certains cas), il est question d'approches nouvelles et diverses: l'histoire croisée, comparée, globale, connectée, etc. Nous ne sommes plus non plus à l'époque où l'histoire n'était qu'un enchaînement d'évènements énumérés chronologiquement et surtout, mécaniquement. Pourtant, c'est ce plat historique indigeste qu'on tente de nous servir.

L'histoire et les mathématiques

Je crois qu'idéalement, l'histoire devrait être enseignée comme les mathématiques. Ce qui est formidable, avec cette discipline, c'est qu'elle fonctionne par problème. Ces problèmes ne sont pas hiérarchisés selon une quelconque importance politique abstraite pour le destin d'une nation quelconque, mais selon leur degré de complexité. Les mathématiques ne dédaignent pas le microscopique, mais chaque nouvelle découverte personnelle, dans ce domaine, nous aide pourtant à nourrir nos facultés d'observation.

Les mathématiques, telles qu'enseignées, nous permettent d'adapter nos connaissances à toutes les situations. A contrario, on souhaite revenir à une idée plus chronologique de l'histoire, et, par conséquent, moins critique. Il s'agit de ne plus embrasser des problèmes, mais d'apprendre des faits. C'est un peu comme si on demandait aux élèves, dans un cours de mathématiques, de n'apprendre à réciter que des équations particulières: 72x84, 18-2, 65+23. En espérant que la logique des formules imprégnera le cerveau des jeunes par osmose.

Pourquoi obliger?

Notez bien: je suis au doctorat en histoire. Je n'ai ni bourse d'excellence ni d'emploi. J'ai toutes les raisons du monde d'exiger une offre supérieure au niveau collégial: cela signifierait un avenir en or pour moi. Mais mon intérêt corporatiste de prof d'histoire n'obscurcit pas mon jugement au point où je me réjouis à l'idée d'enfoncer de la matière de force dans la gorge des étudiant-e-s.

Le tronc commun est une affaire bien laide. Toutes les disciplines touchant à la culture et les sciences humaines se valent à peu près: je ne vois pas pourquoi on devrait en favoriser trois ou quatre. De plus, les cours obligatoires de conditionnement physique sont une insulte à l'autonomie des étudiant-e-s. Les cégepien-ne-s sont presque tous et toutes des adultes. Même selon les critères un peu vieillots et autoritaires de nos gouvernant-e-s, les forcer à courir 3000 mètres conserve une saveur ridiculement tyrannique.

Ajouter une nouvelle matière obligatoire serait, par ailleurs, vraiment vache. Tout d'abord parce que ce serait l'ajout d'un nouveau critère de conformité des acquis. Or, le cégep n'est certainement pas une usine à produits identiques: c'est souvent la seule chance - et une chance assez pauvre d'ailleurs - qu'un jeune puisse avoir, au cours de son cheminement académique, de se découvrir en tant qu'individu, de se tester, d'assumer ses désirs et d'aller au fond de sa curiosité. Le cégep devrait pour cela stimuler la diversité. Car le conformisme a un important travers: il favorise les gens qui sont moyens en tout, et qui sont à l'aise avec l'académisme en général. C'est une sorte particulièrement cruelle de nivelage par le bas, qui exclut de facto tous ceux et celles qui ont développé un talent extraordinaire, mais qui ont le malheur de ne pas connaître tous les secrets, par exemple, de la dissertation.

Ni obligatoire, ni nationale.

Le gouvernement a une approche simpliste et unidimensionnelle vis-à-vis de nombreux problèmes concernant, particulièrement, la jeunesse et son éducation. Les solutions aux problèmes sociaux se résument ainsi: interdire, obliger. Il est plus rarement question d'inciter et d'encourager: et cela montre bien à quel point le contrôle qu'on veut exercer sur certains groupes est coercitif. On devine, de plus, que les profs d'histoire du collégial devront payer cher leurs nouveaux privilèges. Un cours obligatoire vient nécessairement avec l'imposition d'un corpus commun, voire d'un manuel dont le contenu sera, au minimum, vaguement contrôlé par les intérêts supérieurs de la Nation. Le discours de Pierre Duchesne, à ce sujet, est ambigu. Mais l'emploi même du terme « histoire nationale » n'est pas innocent. Il faut selon moi nous attendre à ce que la flexibilité dans l'enseignement soit amoindrie.