mercredi 24 février 2010

Frais de scolarité: un pacte entre simples citoyens

Hier, seize "citoyen-ne-s" ont co-signé un document prêchant une hausse radicale des frais de scolarité universitaires au Québec. Les personnalités, dont plusieurs leaders de la droite québécoise, proposent le rattrapage de la moyenne canadienne sur trois ans! Elles demandent également au gouvernement de se pencher sur une possible hausse différée par programmes et sur une sorte d'impôt post-universitaire.

Leur document est disponible sur ce site web.

La première constatation qu'on peut faire en lisant cette longue déclaration est qu'elle pue les Lucides: la même rhétorique est employée. On insiste sur les mauvaises conditions budgétaires, on utilise un ton alarmiste, on propose des solutions fourre-tout répondant à l'exploration d'un point de vue tronqué, etc.

Ensuite, on peut y reconnaître la dictature de l'économisme et de la croissance. L'éducation ne sert, selon les "citoyen-ne-s" ayant participé au Pacte, qu'à favoriser "notre prospérité collective". Le paragraphe d'introduction est d'ailleurs convaincant dans son champ lexical: au lieu d'approcher le sujet en parlant de pédagogie, on parle d'une "ouverture sans précédent des économies aux échanges internationaux". L'instruction est comprise comme permettant la "création de nouveaux biens".[1]

C'est con.

Et particulièrement réducteur.

Le savoir ne peut-il donc pas servir a priori qu'au savoir? Exiger qu'une discipline ne se justifie que par un soutien à la prospérité, me semble nous condamner au sectarisme scientifique. Les gens du Pacte devraient savoir que nombre de découvertes utiles ont été faites par pur hasard.

Les personnalités du Pacte ne l'explicitent pas, mais on devine leur idée derrière ce masque bienveillant: en mettant l'accent sur ce que les universités peuvent fournir à la société en terme de capital, ils leur veulent fourrer dans la gorge une obligation morale: celle d'être rentable.

Mais puisque ce n'est pas l'objet principal de cette déclaration, passons.

L'économie et les pauvres

J'ai parlé du ton alarmiste, ce n'est pas pour rien. Selon la gang de Lucien Bouchard, "l'avenir du Québec est compromis" par le sous-financement chronique des universités. Il provoquera à terme l'atrophie de notre économie.

L'atrophie de notre économie ne me semble pas être un problème particulièrement grave dans notre société surconsommatrice, bien au contraire. Toutefois, je ne pense pas que le sous-financement universitaire québécois pourrait en être la cause principale. La croissance économique peut être liée aujourd'hui au dynamisme de "l'industrie du savoir", mais elle peut aussi être reliée à l'abondance de ressources naturelles, ou aux choix judicieux d'une minorité d'entrepreneurs ou d'investisseurs pas nécessairement formés sur place. Certes, "beaucoup plus d'emplois de premier échelon dans l'économie actuelle exigent des études postsecondaires plus avancées que par le passé". Mais ce facteur est en partie indépendant du sous-financement universitaire. Je m'explique: la qualité de la formation n'est pas qu'une question de budget. Et si l'instruction est un impératif, les jeunes iront chercher un diplôme et des compétences avec, peu importe si leurs locaux de classe ne sont pas climatisés ou les profs moins érudit-e-s. Des étudiant-e-s légèrement moins bien formé-e-s peuvent se révéler un peu moins productifs à court terme, mais rien ne peut nous permettre de croire qu'ils/elles ne rattraperont pas leur retard - toujours en terme de productivité - avec le temps et l'expérience.

De plus, s'il est clair que le sous-financement universitaire soit une des causes du relativement faible taux de diplomation au Québec et que de mieux financer les institutions est devenu urgent, hausser les frais de scolarité ne règlera pas le problème. Ce qu'on gagnerait en attirant des étudiant-e-s par des campagnes de relations publiques, on le perdra en décourageant les moins nanti-e-s de poursuivre leurs études au-delà de secondaire 5. Les Pacté-e-s proposent de faire face à ce problème en aidant les "candidats méritants" provenant des couches les plus défavorisées de la population...

Tout en niant aux moins nanti-e-s qui ne sont pas anormalement doué-e-s le droit d'entrer à l'université.

Aussi, je ne vois pas comment ce genre de mesure peut protéger largement l'accessibilité aux études. Les étudiant-e-s universitaires, en général, sont des jeunes ordinaires qui ne sont pas dotés de talents spectaculaires. Pourquoi donc se contenter d'aider seulement les pauvres qui sont supérieurement intelligent-e-s?

Ajouter des règles par-dessus les autres

Le Pacte dit ceci: "[nous engageons] le gouvernement à consacrer les budgets ainsi libérés pour favoriser la réussite scolaire à tous les niveaux d'études. [...] l'impact positif de l'ensemble de ces mesures précitées se répercutera sur les individus venant de milieux moins favorisés [...]". Bref, on demande à tous et à toutes une contribution supplémentaire... pour contrer les effets possibles de cette contribution supplémentaire. C'est stupide à couper le souffle, mais tellement typique de la droite québécoise.

Autre élément à la logique douteuse: celui de refuser d'augmenter les investissements par le biais des impôts progressifs, et par-derrière de créer un impôt parallèle basé sur les revenus futurs des futur-e-s diplômé-e-s. Et pourtant, selon les signataires: "L'État ne peut faire plus." Or, en 2007, on imposa contre l'avis de la population une baisse d'impôts de 950 millions de dollars.

C'est tellement tordu leur affaire que j'ai peine à m'imaginer comment ces bourgeois-es en sont venu-e-s à de telles conclusions. Car s'il est vrai que les étudiant-e-s actuel-le-s formeront une partie de la future classe dominante, il est inutile de créer de nouvelles structures de remboursement proportionnel aux revenus: ILS/ELLES PAIERONT DÉJÀ PLUS D'IMPÔTS que le reste de la population. Pourquoi ne pas tout simplement créer plus de paliers d'impôts: on ferait deux pierres d'un coup en donnant de la subtilité au système qui nous fourre inéquitablement depuis des générations, tout en nous assurant que les riches, habituellement diplômé-e-s, contribuent mieux au financement du système universitaire.

Mais les gens du Pacte ne sont pas de cet avis. Il FAUT que les études coûtent quelque chose. Sinon, les jeunes ne pourront pas "faire un choix éclairé"[2]. Une bonne partie de l'argumentation des débiles du Pacte (et en fait de toute la droite) repose sur ce genre d'intention. Celle d'éduquer les jeunes par la facture. En connaissant la valeur monétaire de leur diplôme, les jeunes auront moins de chances de faire des mauvais choix - soit d'agir selon leur désir d'émancipation - et leur endettement les conduira à écourter leur séjour à l'université.

La droite est prête à tout pour discipliner les jeunes: elle est même prête à payer 1200 fonctionnaires pour gérer les coûts annuels de mesures stupides visant à donner de l'argent à des jeunes (par le biais de l'AFE) pour qu'ils puissent repayer le gouvernement par la suite (par le biais des droits de scolarité). Même en étirant à l'extrême le concept ridicule et vain de l'utilisateur-payeur, ça n'a pas de bon sens. Il y a d'autres moyens d'aider les jeunes à s'orienter. Pourquoi toujours insister sur le fric, pourquoi toujours vouloir nous enchaîner inutilement à des dettes?

Les pacté-e-s, vous êtes vraiment des malades mentals. Je pèse mes mots et ma faute d'orthographe.

____
[1] Je m'imagine parler de ça à mes neveux et nièces plus tard. Ils/elles me demanderont pourquoi l'école. Je leur répondrai: "T'as pas encore compris ti-cul? L'ouverture des marchés et les échanges internationaux! Enwoye, lis ton roman de la Courte-Échelle."
[2] Carotte + bâton.

mercredi 17 février 2010

Le CSA sur le bord de la falaise.

J'ai manqué la séance publique sur l'édifice Seracon, occupé en mai dernier par les activistes du CSA. Un article a été publié par la Pointe Libertaire à ce sujet. Je vous suggère de le lire.

Il y a des signes d'ouverture, certes, mais les gens du CSA ne se font pas d'illusions: l'édifice sera démoli. Faire preuve d'ouverture quand une décision n'est pas prise, de la part des autorités, n'est toujours qu'une manière de déradicaliser la résistance afin qu'elle abaisse sa garde. Je me rappelle cette histoire d'arbre centenaire menacé par les gérants de Loblaws: dans une certaine municipalité en plein coeur du Québec, des activistes avaient campé sur le site pour empêcher les machines de le mettre à terre. On leur avait promis que leur cause était entendue: ils ont plié bagage. Et déjà, le lendemain, tout ce qu'il restait à défendre, c'était une souche.

Méfions-nous des paroles complaisantes. Ces tabarnaks-là sont tous corrompus.

vendredi 12 février 2010

Le dossier du CSA revient à la mairie.

Rendez-vous à la mairie d'arrondissement (815, Bel-Air, près de la station Lionel-Groulx) le 16 février à 19h00 pour poser vos questions aux élus à propos de l'édifice occupé par le CSA en mai dernier. On menace depuis longtemps de le détruire et de le remplacer par des condos.

Pour plus d'informations, cliquez ici.

les sondages biaisés et le mensonge de Courchesne.

Les sondages biaisés

J'enrage quand je vois les bourgeois-es mettre des idées toutes faites dans la tête de nos concitoyen-ne-s. Dans un sondage Léger Marketing commandé par TVA au sujet de nos finances publiques, on demande aux Québécois-es de s'exprimer sur les solutions envisageables afin de mettre fin au marasme.

Voici un exemple de question:

"Les experts prévoient qu'il sera impossible de maintenir les services publics avec les revenus actuels de l'État. En conséquence, préférez-vous:
a) payer davantage pour maintenir les services publics et conserver le niveau actuel (28%);
b) payer le même montant et subir une réduction des services publics (42%);
c) payer moins que maintenant et subir une réduction majeure des services publics (15%);
d) ne sait pas / refus (15%)."

1. "Les experts prévoient qu'il sera impossible [...]"

C'est ce qu'on appelle un argument d'autorité. Qui sont au juste ces experts? Difficile de le savoir alors qu'on répond au sondage. Une petite recherche permet de nous rendre compte que ces experts sont choisis par le gouvernement pour leur biais idéologique, tels que Montmarquette, qui se livre souvent à des exposés devant l'Institut Fraser, Pierre Fortin, qui ne cache pas ses accointances ultraconservatrices - il a été président du CD Howe Institute, auquel il contribue toujours - entre autres.

2. L'argument d'autorité sert à orienter l'esprit des répondant-e-s vers une réponse prédéterminée. Les réponses, dans ce cas-ci, sont imposées par la prémisse fataliste. Si on force des gens à envisager un sacrifice qui, a priori, est inutile, on peut leur faire oublier qu'il peut exister d'autres solutions. Les questions sont souvent artificiellement canalisées pour qu'une réponse puisse paraître plus logique que les autres. C'est le cas dans les choix de réponses précédents, qui ne comptent bien entendu pas celui-ci:

"e) J'encule les experts, je veux payer un montant plus faible et bénéficier d'une augmentation des services."

Aussi, il ne faut pas s'étonner du taux de 15% de NSP/refus.

3. "Payer le même montant".

Cette expression est foutrement habile. Imaginez qu'on vous pose la question. Qu'en comprendriez-vous? Est-ce le "même montant" global envoyé par tous les Québécois et toutes les Québécoises? Ou le montant que VOUS envoyez personnellement au gouvernement? Ce montant comprend-il les tarifs à la consommation? Il est probable que certaines personnes aient compris toutes sortes de choses. Mais admettons que la plupart des gens aient compris qu'il s'agissait des impôts prélevés individuellement:
- Les grosso modo 10% de la population vivant sous le seuil de la pauvreté a certainement choisi en majorité la réponse b), puisqu'elle paie peu ou pas d'impôts et ne peut pas soutenir une hausse... à cela il faut soustraire le vote stratégique des gens qui ont compris l'arnaque;
- Les grosso modo 5-10% de plus riches au Québec ont sans doute suffisamment d'argent pour qu'une réduction d'impôts leur soit favorable: de toute façon ils utilisent en majorité des services de santé et d'éducation privés. Ils ont donc certainement en majorité choisi la réponse c).

Bref, les plus démuni-e-s, qui devraient normalement bénéficier de la réponse a), gonflent paradoxalement les statistiques de la réponse b). Quant aux riches (en excluant ceux qui volent les impôts), ils gonflent sans surprises les statistiques de la réponse c).

4. Le titre dans les médias annonce une interprétation biaisée: "La majorité des Québécois préfèrent subir une diminution des services publics plutôt que de payer davantage pour conserver le niveau de service actuel". On peut en comprendre que la population appuie le gouvernement dans les coupures à venir. Toutefois, on aurait aussi pu dire: "70% des Québécois sont opposés à une diminution de leurs contributions à l'État". Ou bien "Le tiers des Québécois sont en faveur d'une hausse d'impôts sans amélioration substantielle des services".

Toutes les questions (ainsi que les réponses) du sondage sont, à plus ou moins grande échelle, biaisées. Je voudrais manquer suffisamment de cynisme pour m'étonner de cette abomination intellectuelle... qui se retrouve quand même de manière prévisible sur LCN-canoe, la tribune personnelle de Péladeau.

Courchesne delenda est.

Michelle Courchesne parle de "consensus" autour du dégel des frais de scolarité: apparemment, toute la population québécoise, "excluant les étudiants", est en faveur. Sauf que même les sondages biaisés de TVA-Léger Marketing montrent que la population est divisée à ce sujet. Le 20 janvier dernier, on disait que 57% des Québécois-e-s étaient opposé-e-s à la hausse des frais de scolarité dans les universités, et 50% en faveur dans un sondage plus récent. Quant à l'idée de l'instauration des frais de scolarité au cégep, elle n'aurait pas progressé: elle serait passée de 49% à 47%. Les modalité des deux sondages étaient bien entendu différentes et cela explique sans doute les variations.

Il n'y a pas de consensus dans la population sur la hausse des frais de scolarité. La population est divisée sur la question. Cependant, il y a bel et bien consensus sur une chose: personne n'osera se défendre quand le gouvernement imposera ses décisions.

Cela dit, cela n'empêche pas que la ministre soit une sale menteuse.

jeudi 11 février 2010

Usines sans patrons - compte-rendu

La conférence a lieu hier à L'UQÀM. C'était une activité organisée par nos camarades de l'UCL. Si vous avez manqué l'évènement, vous pouvez vous reprendre en visionnant The Take, le documentaire de Naomi Klein, et peut-être en lisant ce petit article publié sur le blogue La Commune. Ensemble, ces deux documents résument assez bien la conférence d'hier.

J'ai trouvé l'envoyé de Red Libertaria fort intéressant. C'est cependant dommage qu'on ait pas envoyé d'Argentine un-e conférencier/ère qui connaisse bien le français. La traduction simultanée était très correcte, et en même temps ça me permettait d'entendre les informations deux fois plutôt qu'une (pratique pour la prise de notes) mais je vous jure que cette méthode, pour l'avoir expérimentée à quelques reprises, écourte de beaucoup les échanges.

J'aurais également apprécié qu'on parle davantage des structures d'une usine sans patrons et des modes pragmatiques de l'établissement de telles usines dans un contexte différent de celui de l'Argentine de 2001. Même si quelques cas d'usines sans patrons ont été étudiés brièvement, nous avons surtout eu droit à une conférence historique sur la crise du néolibéralisme vécue par les Argentins au début de la dernière décennie.

Parmi les usines mentionnées par le conférencier figure le célèbre cas de Zanón. Les ouvriers viennent d'ailleurs juste d'obtenir l'expropriation officielle de leur patron et gèrent de manière autonome leur entreprise depuis plusieurs années déjà. En occupant leur usine dans un premier temps et en décidant de recommencer à produire à leur propre compte ensuite, il ont créé un nouveau modèle de gestion et de production égalitaire sans hiérarchie. Tout ça au sein de cette usine qui avait été fermée pour des raisons de faillite il y a presque dix ans, laissant les employé-e-s subir un retard de plusieurs mois dans le paiement de leur salaire.

Dans quelques cas, les usines récupérées ont subi de durs revers économiques; mais chez Zanón, le nombre d'employé-e-s a doublé depuis la faillite. Et Zanón n'est pas une petite usine: en 2001, on y comptait déjà 240 postes. Le modèle autogéré n'a pas eu que des répercussions sur l'emploi: les accidents de travail y sont également beaucoup plus rare qu'auparavant. L'usine est d'ailleurs globalement plus saine et l'entreprise s'implique au sein de la communauté.

L'intervenant de Red Libertaria nous a toutefois fait comprendre, en conclusion, que les progrès des usines récupérées sont souvent ralentis par le capitalisme, qui dicte par exemple le rythme de travail et qui met les usines en compétition les unes contre les autres, forçant même parfois les travailleurs/euses à "s'autoexploiter" jusqu'à ce que les usines reprennent un fonctionnement normal et redeviennent rentables.

Conférences de février

Mercredi 17 février, 18h42, au local D-R200 à l'UQÀM: Omar Aktouf, Gaétan Breton, Michel Lambert et Nicole Hubert donnent une conférence dans le cadre de la campagne "Sauvons Alternatives". L'organisme est menacé depuis quelques temps parce que le gouvernement fédéral a décidé de couper les fonds des ONG qui ne partagent pas la vision militariste et autoritaire de Harper. C'est gratuit (moyennant une contribution volontaire). Vous pouvez aussi signer une pétition sur ce site web.

Jeudi 18 février, 18h30, Carefour d'Éducation populaire (2356, rue Centre, Métro Charlevoix): ON NOUS FICHE, NE NOUS EN FICHONS PAS! Avec Dominique Peschard, de la Ligue des Droits et Libertés, et Alexandre Popovic, de la Coalition contre la répression et les abus policiers. On y parlera d'atteintes à la vie privée et aux libertés causées par la surveillance de plus en plus systématique des citoyen-ne-s à laquelle se livre l'État.

samedi 6 février 2010

Sur le salaire minimum

J'ai lu le texte de Ian Sénéchal sur le blogue des Analystes: cela m'a laissé très perplexe et m'a conduit à faire quelques recherches dans des revues économiques, ce que je n'ai pas l'habitude de faire, je l'avoue (je me fie généralement à Statistiques Canada, à l'histoire, l'anthropologie et à la sociologie), parce que j'ai souvent trouvé les études biaisées et les conclusions faites de manière un peu trop rapide. C'est l'étroitesse de la science économique qui me déplaît. Chez les anthropologues, les historien-ne-s et les sociologues, c'est essentiellement la multidisciplinarité qui prime; chez les économistes, trop souvent, on se fie sur des données sans prendre en considération le contexte. La forte pression idéologique en milieu universitaire, chez les économistes, semble aussi sous-estimée en regard du traitement qu'on fait subir aux sociologues, qui sont "tous des marxistes".

Le "modèle compétitif" vs la "nouvelle économie"

On prétend souvent que tous les économistes du monde sont de cet avis: la hausse du salaire minimum a un effet négatif sur le taux d'emploi. Ce qu'on retrouve souvent dans les textes des chroniqueurs/euses de droite au Québec, c'est à peu près ce discours: "augmenter le salaire minimum de 10% réduit l'emploi chez les jeunes de 1 à 3%". De manière plus générale, le modèle accepté autrefois, sans nuances, affirmait que toute hausse du salaire minimum causait une pression à la baisse sur le taux d'emploi. C'est ce qu'on appelle le "competitive model", dont nous avons vu quelques notions pendant nos cours d'économie au secondaire.

Cela dit, une étude très complète de Card et Krueger a montré, en 1995, que cette pensée relevait en partie du mythe, les "preuves" étant très fragiles, voire pas concluantes du tout. Leur étude montrait aussi, par des contre-exemples, que la hausse du salaire minimum ne causait pas nécessairement de baisse du taux d'emploi chez les travailleurs/euses en général ni même chez les jeunes. Une hausse du salaire minimum allait même souvent de concert avec une légère hausse du taux d'emploi.

Dans une autre étude de 1999[1], des économistes (dont Card) ont montré en comparant les exemples du Canada, des États-Unis et de la France que la flexibilité dans le système salarial (soit le fait, entre autres, de maintenir un salaire minimum très bas) n'avait pas nécessairement un effet sur l'emploi. Ils concluent plutôt que ce sont les changements dans la demande qui créent, du moins chez les employé-e-s les moins qualifié-e-s, une baisse de l'emploi. Ce nouvel échantillon compense en partie celui, plus faible, de l'étude de 1995.

Le taux d'emploi varie pour diverses raisons, et en isoler une seule est difficile. Dans toutes les sciences humaines, ou presque, on essaie d'identifier une multiplicité de facteurs. Dans les sciences économiques, c'est, j'ai l'impression, une pratique moins courante[2]. Voilà pourquoi on se livre souvent à une incroyable gymnastique méthodologique dans les revues économiques. Et ne venez pas me parler de mathématiques: il y a sans doute bien des graphiques que les économistes seraient incapables de comprendre dans certaines revues d'anthropologie anatomique.

Il faut toujours lire les notes de bas de page (incluant les miennes) des articles pour connaître leur rigueur. Nathalie Elgrably, dans sa note ridicule adressée à l'IEDM en décembre 2006 (elle est d'autant plus importante que les moteurs de recherches pointent tous vers ce texte), centre par exemple une partie de son argumentation sur ce document de Statistiques Canada. On y apprend que l'auteure ne partage pas du tout les idées d'Elgrably: "d'autres facteurs [que le salaire minimum] notamment la configuration des secteurs, le taux de travail à temps partiel, le cycle économique et la législation, entrent également en jeu [dans l'emploi]."

On ne peut conclure à un k.o. technique face aux économistes néoclassiques: les études de Card et de Krueger, comme les autres que nous n'avons pas mentionnées et qui vont dans le même sens[3], sont sujettes à discussion.

Questionnements généraux

On justifie les salaires de crève-faim en prétextant que les deux-tiers des travailleurs/euses au salaire minimum sont des étudiant-e-s ou des jeunes. On brandit aussi la menace des délocalisations d'usines. Ces idées reçues sont bourrées de contradictions. On sait par exemple que la majorité des employé-e-s d'usines gagnent au-dessus du salaire minimum, et que ce salaire minimum est surtout l'affaire du secteur des services. Pourquoi, dès lors, parle-t-on de délocalisations? Mon centre communautaire n'a jamais menacé de déménager au Honduras, ni le garagiste du coin, ni même mon épicier.

Quant à la composante "jeune" des bas-salariés, ce n'est pas un argument valable. Ce n'est pas parce qu'un-e jeune est jeune qu'il/elle devrait être payé-e un salaire de cul. Il est, de plus, probable que la présence des jeunes dans les emplois à faible rémunération soit davantage un symptôme. Comme quoi beaucoup de services offerts à la population ne sont pas en mesure d'être fournis par des personnes indépendantes financièrement. Ça en dit long sur notre société, non? L'argument des anti-salaire minimum concernant la jeunesse ne tient pas non plus compte de la majorité (52%) des bas salarié-e-s du Canada qui NE SONT PAS DES JEUNES, ni des salarié-e-s qui gagnent davantage que le salaire minimum mais qui vivent quand même sous le seuil de pauvreté.

La plupart des théories s'opposant à la hausse du salaire minimum sont donc douteuses. Tout d'abord parce qu'elles se basent sur des idées reçues et des prémisses sans doute fausses, mais aussi parce qu'elles ne prennent pas en considération une grande diversité de facteurs. Elles sont, en gros, le fruit de l'étroitesse d'esprit.

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[1]Card, Kramarz, Lemieux. "Changes in the Relative Structure of Wages and Employment". Revue canadienne d'économique, 1999.
[2]Par exemple, on a déjà prétendu que la hausse des frais de scolarité dans les années 90 au Québec avait "causé" une augmentation du nombre d'étudiant-e-s. Juste intuitivement, ça paraît douteux. Une étude plus approfondie peut permettre de constater que pendant la même période, il y a également eu une hausse du taux de chômage chez les jeunes. Du coup, tout s'explique. Ce n'est pas les hausses des frais qui ont ramené les jeunes à l'école, c'est le chômage. Nathalie Elgrably ne semble pas l'avoir compris, mais le gouvernement oui: il semble s'être donné le mandat d'augmenter les frais de scolarité uniquement en période de récession. Peut-être pour camoufler leur effet sur la fréquentation universitaire? Peut-être aussi seulement par insignifiance.
[3]notamment, je crois, Machin et Mannin (1994) ainsi que Berstein et Schmitt (1998).

vendredi 5 février 2010

Les Analystes contre-attaquent.

Je ne sais pas si vous connaissez ce sentiment d'impuissance qu'on ressent face à la connerie mise sur un trône. Quand je lis Les Analystes et que j'écoute Éric Duhaime, cette émotion me possède et me serre la gorge jusqu'à l'étouffement. Rarement je n'ai entendu dans ma vie autant de naiseries dites ou écrites dans un même mois (et en français).

J'ai découvert ce blogue principalement grâce à la diffusion qu'on en fait sur les forums, à la radio et à la télévision.

Dans une entrevue à la radio, cette innocente de Joanne Marcotte mentionnait Éric Duhaime et ses co-analystes en se réjouissant des progrès de la droite dans les médias: c'est à croire que la pensée unique syndicaleuse a définitivement perdu la bataille, pour faire place à la liberté de parole, sans aucun doute désormais protégée par un doigt de la Salvatrice main magique du marché.

Cravates, lunettes de soleil: ce n'est pas parce que les Analystes ont l'air un peu gland que ce ne sont pas des jeunes à la mode. Leurs idées le sont aussi: elles passent à TQS.

Éric Duhaime se sert régulièrement de la très scientifique tribune de Mario Dumont afin de faire passer son message. Ici, il s'attaque aux sacs réutilisables dans les épiceries, tout en chiâlant contre les frais rattachés à l'utilisation des sacs de plastique (c'est amusant de voir à quelle vitesse la jeunesse dorée laisse tomber le concept d'utilisateur-payeur). Ailleurs, on s'attaque au populaire film Avatar, qui est selon Duhaime un "film de gauchistes", rempli de propagande écolo. Les Analystes n'ont que ce mot à la bouche, "propagande": c'est délicieusement ironique.

Le pire, c'est sans doute que les arguments ne valent souvent absolument rien: c'est du Martin Masse tout craché[1]. Par exemple, on va prétendre que les sacs réutilisables sont dangereux à cause de la contamination bactériologique; on affirme aussi que les Québécois sont trop pauvres pour se payer les "normes californiennes" en matière de voitures polluantes. Sur le même thème on emploie un ton alarmiste pour laisser entendre que les gros VUS ne seront plus vendus dans la province en raison de cette mesure (quel drame).

Bref, la blogosphère s'est enrichie d'un blogue très stéréotypé: les auteurs sont des jeunes et dynamiques créateurs de richesse, scientifiquement justes (pourquoi pas), et convaincus que la plus grande atteinte à la liberté individuelle est la disparition sur le marché d'un gadget inutile à 800$[2]. Dotés d'une logique douteuse et d'une visibilité malheureusement proportionnée à leur zèle imbécile, ils ont toutes les armes nécessaires au succès de leur entreprise: polluer la Toile de débilités.

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[1] Souvenons-nous qu'en 2007, ce rebelle protecteur de l'ordre établi avait prononcé une conférence à l'Institut Fraser, durant laquelle il avait dit que le transport en commun était une garantie d'appauvrissement pour le Québec, et que l'étalement urbain était une chose formidable.
[2] Pour ces gens-là, les libertés individuelles se décrivent essentiellement par la diversité dans l'offre de produits consommables.