jeudi 12 février 2009

Comment l'anarchie est-elle possible? (5) La Police

Les hommes des Lumières s'étonnaient de voir que les sociétés amérindiennes d'Amérique du Nord fonctionnaient sans lois et sans répression[1]. À une agression ou un vol suivait généralement une réparation matérielle ou morale de la part de la personne jugée responsable. Le système entraînait certainement des abus mais ne causait pas la dissolution de la communauté, ni le chaos. L'emprisonnement et la peine de mort étaient rares.

Maintenant que la police est bien installée, elle ferait, selon toute vraisemblance, régner la loi et l'ordre à la grandeur du monde (sauf peut-être en Somalie et en Antarctique). Mais à quoi sert-elle exactement? Que nous apporte-t-elle? Les partisan-e-s des forces policières reprochent aux libertaires de conspuer un service dont eux-mêmes ne pourraient pas se passer. Les choses pourraient-elles en fait fonctionner autrement?

Ce billet vise à remettre en question l'efficacité de la protection policière, ainsi que son utilité. Il sera séparé en différentes sections, suivant les principales motivations qui peuvent pousser une société à accepter la présence policière en son sein.

1. ÊTRE PLUS FORT QUE LE CRIME

Armée jusqu'aux dents, théoriquement, la police est censée pouvoir opposer à un tiers parti agressif une force de frappe supérieure à la menace pesant sur le public. Ainsi, face à un bandit brandissant une arme à feu, seule une force policière est en mesure de répliquer; le public, non-armé, est incapable de se défendre contre une agression sophistiquée.

Dans les faits, accepter la protection policière comme le seul palliatif à la menace de la coercition, c'est ignorer les causes de la violence criminelle et renoncer à tenter de les limiter, voire de les anéantir. La criminalité organisée et violente serait dans un équilibre précaire dans une société qui:
- ne fournirait pas de recrues parmi les indigent-e-s;
- ne produirait pas d'armes et de munitions;
- serait formée d'humains soudés (mais libres) capables de s'entraider et de faire face aux menaces internes par un soutien actif aux individus en dérive.

Bref, éliminer la pauvreté et ainsi donner des alternatives au crime serait sans doute suffisant pour réduire de manière radicale la tentation que peuvent ressentir les individus d'avoir recours au crime pour en tirer un quelconque profit. La disparition des armes à feu réduirait également les menaces potentielles. Si une dizaine de citoyen-ne-s peuvent être facilement mené-e-s par la pointe d'un seul fusil, ils/elles peuvent facilement se défendre contre un seul voire quelques bâtons, couteaux, arcs, explosifs rudimentaires ou toute autre arme fabriquée maison. Dès lors qu'il n'y a plus de production industrielle d'armes domestiques, l'intervention d'une unité de sécurité armée spécialisée n'est plus requise en tout temps et la coercition violente peut être combattue par des gens ordinaires grâce à la simple force du nombre et la vigilance.

Nous avons eu la preuve, avec l'histoire d'Anas, de Villanueva et des autres meurtres commis par la police, plus particulièrement celle de Montréal, que la présence de crétins en uniforme et armés n'est pas un gage de protection contre les tireurs fous - ce serait plutôt le contraire.

2. ASSURER UNE SURVEILLANCE CONSTANTE

Peu importe le nombre de patrouilleurs/euses, la vente de drogue se poursuivra, ainsi que les agressions isolées et les viols. Il est rarissime que la police arrive sur les lieux d'un crime alors qu'il est en train de se produire, à moins qu'il s'agisse d'un guet-apens. Toutefois, bon nombre de crimes sont commis devant des témoins qui décident de ne pas s'impliquer pour des raisons diverses, ou qui, après avoir appelé les services d'urgence, se terrent dans un abri.

Il est beaucoup plus simple de s'impliquer directement sur les lieux d'un crime que d'attendre une intervention policière. Pas besoin de jouer aux héros solitaires: une demande d'aide par un témoin au voisinage peut encore se révéler plus rapide et plus efficace qu'un appel désespéré au 9-1-1. Pouvoir organiser une battue, une poursuite ou même une enquête en mobilisant rapidement les individus se trouvant à proximité dynamiserait la lutte contre la violence et la coercition. Le succès de l'entreprise ne serait finalement plus relié qu'à une question de volonté, de non-indifférence, de modération (pour éviter les débordements en présence d'un-e coupable) et surtout de disponibilité.

3. DISSUADER LE CRIME PAR LA PEUR

La peur de la répression est un outil efficace, mais peut s'apparenter à un filtre qui s'encrasse. Elle dissuade peut-être quelques criminel-le-s potentiel-le-s d'outrepasser les lois, mais peut aussi les conduire à poser des gestes tout aussi répréhensibles, toutefois impunis parce que situés à la limite de la légalité. C'est entre les paragraphes des lois que sont agglomérés les pires crosseurs de la planète. Et l'État comme le capitalisme, qui se repaissent des escroqueries ordinaires, ne feront hélas jamais plus que le minimum pour faire cesser des activités qui ne menacent pas leur Ordre nauséabond.

De plus, la terreur face à la punition est justement une dérive de notre société autoritaire à éliminer. Cette crainte est plus forte que la compassion pour les victimes et bien plus présente dans l'esprit d'un-e criminel-le que la peur d'être remis-e réellement face à la responsabilité de ses actes. Blesser une connaissance, perdre la confiance d'un groupe ou d'un individu n'entre pas en ligne de compte dans une société individualiste qui dépersonnalise les êtres humains (et donc les victimes potentielles). Il existe d'autres solutions que la dissuasion par la force pour convaincre les gens de ne pas se livrer à des activités néfastes pour l'humanité.

Rien ne garantit, de toute façon, que cette peur disparaîtrait en même temps que la police. Bien des gens pourraient avoir des réserves à l'idée de commettre un crime crapuleux par crainte de la réaction excessive d'une foule vengeresse[2]. J'imagine que les sociétés débarassées de la police mais devant arrêter des assassins ou des "pédophiles" développeraient, à la longue, des mécanismes de défoulement pacifique afin de limiter les débordements. Mais je n'ai pas actuellement en ma possession des informations qui me permettraient de spéculer là-dessus.

4. PROTÉGER LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE

En admettant qu'elle existe encore et qu'on puisse ainsi accumuler de manière productive le résultat d'un vol...

CONCLUSION

Faire disparaître les services policiers ne serait pas une garantie de liberté absolue: les gens pourraient en venir à se surveiller et à se suspecter mutuellement de manière tout aussi néfaste et liberticide, ou encore poursuivre la répression policière en instaurant un nouveau service ayant des pouvoirs et une fonction analogues. Bref, il faut toujours se méfier autant du policier qui nous pourrit l'intérieur du crâne que de celui qui nous en pourrit l'extérieur à coups de matraque.

Néanmoins, on pourrait trouver de nouvelles fonctions aux flics si les individus s'impliquaient davantage auprès de leur communauté, jouant un autre rôle que celui de larves inertes. Les plus cyniques d'entre nous (ou les plus enthousiastes) diront que les conditions à la disparition du métier de terroriste d'État ne seront remplies qu'après une révolution ainsi que trois génération de mutation sociale. Eh bien soit! En attendant, faire comprendre aux bonnes gens que la police est facultative et loin d'être au-delà de tout soupçon libèrera les mentalités d'un immense fardeau.

____________
[1] Je sais que mon introduction pourrait plaire à Anne Archet. La plupart de mes informations sur les autochtones sont cependant tirées des observations de Gabriel Sagard, un clerc, et non un anthropologue.
[2]Le droit de minorités face à des majorités surpuissantes et surexcitées pourrait aussi susciter des ennuis.

6 commentaires:

  1. La vente de drogue et les autres soi-disant crimes sans victime ne sont pas des crimes.

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  2. La consommation de drogue n'est pas un crime, mais sa vente est une activité des plus infâmes, dont le profit est basé sur l'exploitation, sur la violence, sur l'extorsion, sur la manipulation et l'asservissement. Non seulement le type de commerce (on ne parle pas ici de la vente de la mari ou de la salvia) fait très souvent des victimes, mais la substance vendue elle-même fait des victimes.

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  3. "La consommation de drogue n'est pas un crime, mais sa vente est une activité des plus infâmes, dont le profit est basé sur l'exploitation, sur la violence, sur l'extorsion, sur la manipulation et l'asservissement."

    Violence, exploitation, extorsion, manipulation et asservissement causés par la guerre étatique aux drogues, pas tellement par les drogues elles-mêmes.

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  4. Dans l'optique où les drogues pourraient être vendues sans tout le lard malodorant (extorsion, violence, manipulation et asservissement) qui l'accompagne, je m'avoue en accord avec anarcho-pragmatiste. Ceci dit, le fait de vendre quoi que ce soit m'apparaît en soi comme un élément nocif que l'on peut rattacher au produit.
    N'empêche, comme le disent les Vulgaires Machins : «légaliser l'héroïne ! une option valable !».

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. La répression étatique est certes violente, JE LA DÉNONCE justement dans ce billet.

    Les drogues "dures" défoncent le cerveau tout en créant une dépendance féroce. C'est la première violence à laquelle le public a à faire face. Éventuellement, les toxicomanes deviennent les premières victimes des extorsions non pas de l'État, mais des revendeurs. Je me souviens qu'une fille de mon ancienne ville (une fucking petite ville) avait été retrouvée dans la rue, inconsciente et le corps couvert de brûlures faites au fer rouge par ses fournisseurs parce qu'elle n'avait pas de quoi payer. Les toxicomanes sont de plus capables de faire n'importe quoi pour se payer de nouvelles doses, j'en prends pour exemple le nombre affreusement élevé de jeunes femmes enrôlées dans des réseaux de prostitution en échange de revenus dérisoires et d'une injection de temps en temps. La drogue n'est qu'un moyen raffiné d'entretenir la fidélité des esclaves.

    Si les vendeurs se contentaient de mari et d'opium, je n'aurais pas grand-chose contre. Mais avec le crack, l'héro, le crystalmet, et toutes les autres sortes de poison, mêlées avec l'exploitation systématique des consommateurs/trices, c'est sérieux.

    Je dis ça, mais l'Empire du sucre ne se comporte pas beaucoup mieux, celui du tabac non plus. Ce sont tous des égorgeurs de bébés. Plus le produit est sale...

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